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Segmentation Des initiatives multiples

Les démarches visant à différencier le lait et les produits laitiers se multiplient depuis deux ans. Avec des retours inégaux pour les éleveurs impliqués.

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Local, sans OGM, rémunérateur pour le producteur… De nouvelles mentions fleurissent sur les étiquettes des produits laitiers, en lien avec la multiplication des démarches de segmentation. Au risque de noyer le consommateur, mais aussi de renforcer la concurrence entre elles. Car cette segmentation concerne d’abord le marché du lait de consommation, qui est en déclin. « Ce mouvement a démarré après la crise de 2009 et s’est considérablement amplifié depuis deux ans », explique Benoît Rubin, chef du service économie de l’exploitation à l’Institut de l’élevage. L’organisme a lancé une étude sur le sujet pour comprendre les ressorts de ces initiatives.

Mathilde Barbe, étudiante en master 1 de géographie, y a travaillé au cours d’un stage. Elle s’est heurtée à la culture du secret chez les transformateurs et les distributeurs. Les producteurs se révèlent plus ouverts. Cette opacité a nécessité d’adapter la méthodologie. « Pour chacune des démarches, nous souhaitions rencontrer tous les partenaires, du producteur au consommateur. Nous sommes allés là où les portes s’ouvraient et, au final, nous en avons décortiqué dix-sept », précise Benoît Rubin. Ces démarches répondent à un besoin de création de valeur ajoutée pour les éleveurs, à un moment où les attentes sociétales évoluent très vite. Selon leur sensibilité, les consommateurs recherchent du local, des assurances sur les modes de production ou sur la santé, mais aussi une juste rémunération des producteurs. Autant de sujets sur lesquels les industriels ou les distributeurs ne peuvent répondre seuls.

« Nous avons recensé cinquante-neuf démarches de valorisation en 2019 », poursuit Benoît Rubin. Sur ce nombre­, 57 % concernent le lait de consommation, mais toutes les familles de produits sont représentées. Certaines s’appuient sur un cahier des charges et cherchent donc une réelle différenciation sur le produit. D’autres se contentent de jouer sur la fibre locale. Toutes les régions sont concernées, et une démarche sur cinq se déploie au niveau national. Des modes de distribution alternatifs se développent : Amap, vente à la ferme, projets alimentaires territoriaux, etc. Le type de circuit joue aussi sur la création de valeur. Ces démarches ont été entreprises par tous les types d’acteurs. Des producteurs et des consommateurs bien sûr, mais aussi des industriels privés ou coopératifs, et des distributeurs.

La question du prix de vente est centrale. Les relevés en magasins montrent qu’en moyenne, ces produits sont plus chers. Mais les écarts sont énormes. La brique de lait demi-écrémé se vend entre 0,65 (Laitik) et 1 € (C’est qui le patron ?!, CQLP). Les porteurs de projet s’appuient souvent sur un cahier des charges pour justifier un prix plus élevé. D’où la multiplication des laits de vaches nourries sans OGM, au pâturage, etc.

La valeur créée ne dépend pas que du surcoût

Mais pour le consommateur, l’acte d’achat repose d’abord sur la proximité avec le producteur. Plus que le cahier des charges, c’est le positionnement commercial qui compte. Le packaging est donc essentiel. Ainsi, Lactalis a été amené à modifier sa communication sur le lait L’Appel des prés, en précisant la rémunération à l’éleveur : 0,40 €/l. Il semble que les autres mentions (pâturage, sans OGM, bien-être animal) n’avaient pas suffi à convaincre. « La valeur créée n’est pas directement liée au surcoût mais plutôt à la satisfaction d’une attente du consommateur », poursuit Benoît Rubin. La communication vers l’acheteur est donc un critère majeur de réussite. Surtout sur le marché du lait liquide, où il faut se faire une place entre les produits bio et conventionnels. Dans ce cadre, les cahiers des charges se standardisent progressivement autour des notions d’alimentation des vaches, ce qui pose la question de l’opportunité de créer un cahier des charges unique. Cela offrirait une meilleure visibilité pour les consommateurs mais réduirait la différenciation entre les produits.

Le sujet du bien-être animal est également présent dans les cahiers des charges, en association avec le pâturage, mais pas seulement. On constate d’ailleurs que le langage des messages évolue et devient moins technique, pour aller vers l’expression de valeurs. Le pâturage devient ainsi synonyme de liberté. Dans ce domaine, les choses bougent très vite et de nouvelles contraintes se dessinent, dans un souci de mieux se démarquer.

S’appuyer sur un cahier des charges

« Le cahier des charges reste malgré tout indispensable », estime Benoît Rubin. Autrement dit, ceux qui tentent de vendre du vent ne tiendront pas. Le consommateur veut en avoir pour son argent. La pérennité de la démarche dépend aussi du prix de vente. Les relevés en magasins montrent que pour certaines marques, les prix stagnent. On voit aussi des prix très différents pour des cahiers des charges similaires et même parfois, pour des produits identiques. En vente directe, certains ont du mal à imposer un prix. Pour réussir, il faut être capable de bien apprécier ses coûts et de les répercuter.

Du côté des producteurs, il n’y a pas que le prix qui compte. Ces segmentations débouchent aussi sur une valorisation de leur métier. Un point souligné notamment chez les livreurs de la Laiterie Saint-Père, qui ont lancé la marque Les Éleveurs vous disent merci ! Les visages de six éleveurs figurent sur les briques. Les retours des consommateurs, qui les identifient, sont très positifs. De plus, ces démarches permettent souvent aux producteurs de retrouver des relations plus sereines avec les industriels et les distributeurs. En revanche, il existe un risque de tension entre les producteurs impliqués et les autres, au sein d’une même entreprise. Chez Sodiaal, par exemple, même si la valorisation obtenue est partagée.

Ces choix stratégiques, qu’ils débouchent ou pas sur la création de valeur, dépendent des relations entre les acteurs et des objectifs qu’ils se donnent. Le lait CQLP s’est largement appuyé sur les souhaits des consommateurs et justifie son prix de vente par la réponse à leurs attentes. À l’inverse, Mon BB Lait (Bel) résulte de la volonté de l’OP, propriétaire du cahier des charges, et implique d’abord les exploitations, avec, à la clé, un prix de vente garanti à 350 €/1 000 l en moyenne annuelle.

Élargir les gammes

En matière de volume vendu, les situations varient énormément. Mon BB Lait concerne 400 Ml, quand Les Laitiers Responsables, de Sodiaal, étaient, en 2019, à 9 Ml et CQLP à presque 50 Ml. Pour tous ceux qui misent sur le lait de consommation, la concurrence devient une menace sérieuse.

L’étape suivante devrait tendre à l’élargissement des gammes, voire l’apparition de nouveaux critères dans les cahiers des charges. Le lait UHT reste le produit phare parce qu’il est simple à fabriquer. Passer à des produits plus sophistiqués n’est pas à la portée de tous les intervenants. On constate aussi que la RHF est encore peu visée, alors qu’il existe une demande certaine. « L’avenir de ces initiatives dépendra de la capacité des producteurs à communiquer auprès des consommateurs de manière efficace et à générer de la marge », affirme Benoît Rubin.

Pascale Le Cann

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